Récit de Jean
BOUCABEILLE
Article de la revue
N°71 de Décembre 1994
A Gruissan, une
grande crèche occupait la partie gauche du chœur de l’église. Une semaine avant
Noël, souvent le soir après souper, des fidèles, hommes et femmes, la
construisaient avec grande dévotion. Entourée de grosses branches de pin, belle
et bien illuminée, nous l’aimions. Les Gruissanais, surtout les enfants,
venaient l’admirer.
Après une courte
prière, une pièce de monnaie était glissée dans une fente du dos de l’agneau,
lequel remerciait en inclinant plusieurs fois sa tête. D’autres fois, c’était
le roi mage noir ou un ange qui remerciait.
A l’Épiphanie, on
ajoutait les rois Mages et le bon curé Pierre Ferrier était fier de sa crèche.
A la Chandeleur, il
la « défaisait » avec grande peine.
L’attente de Noël
était fébrile et les groupes de jeunes préparaient le menu du réveillon.
Dès les douze coups
de minuit, annonçant la messe, Marie Cardinal, « pendue » aux cordes
des deux cloches, carillonnait à toute volée. Dans l’église bondée résonnait un
Minuit Chrétien chanté du haut de la tribune par Annette Gaubert (quelques
années après par Marie-Rose Fabre) accompagnée à l’harmonium par Ida Pons.
Alors un cortège se formait avec de nombreux enfants de chœur en aube blanche
et rouge et les deux plus grands portait l’enfant Jésus sur un petit brancard
garni de paille. Le berceau de paille était posé au milieu de la grande crèche, entouré des Saints et des animaux, âne, bœuf et
moutons. (Grands santons)
Le chœur de chant
entonnait « Il est né le divin Enfant » puis au Gloria « Les
anges dans les campagnes » et toute l’église chantait Noël.
La grande messe se
déroulait pieusement, suivie de deux messes basses.
Parfois, un jeune, du
haut de la tribune, jetait un haricot (reste du loto des cafés), mais le curé
Pierre veillait et son imposante stature ne permettait aucun excès.
Dès la sortie de
l’église, toutes les rues du village s’animaient et un air de fête et de
réveillon annonçait une heureuse et « belle nuit ».
Le réveillon se
faisait donc en famille mais des groupes de jeunes préféraient un « air
d’indépendance » et festoyaient dans des remises aménagées.
Bien sûr, il n’y
avait ni langoustes, ni gambas, ni champagne, mais on mangeait bien et les
vins, surtout le bon grenache de nos petits propriétaires, créaient vite une
gaieté bruyante.
Vers les trois
heures, le réveillon fini, la jeunesse un peu excitée se dispersait dans les
rues, chantant des chansons paillardes et toujours à la recherche d’une
« espièglerie ».
Le
« martelet » réveillait le quartier mais en silence la porte à
mouches « se déménageait » au Griffoul ou sur la place de
l’église. Au hasard des trouvailles, on ajoutait un bétou, un vivier à
anguilles, une charrette…Une nuit, la grande barque de « Roulland » fut hissée au pied
du rocher de la tour. Parfois, par excès de zèle, un jeune essayait de démonter
une grande porte mais une fenêtre s’ouvrait violemment et dans un flot
d’injures et d’odeurs, le vase de nuit l’arrosait...
Tout était galopades,
rires, cris, chants et ce tintamarre finissait aux premières lueurs du jour.
Fatigués, la tête
plutôt lourde, les jeunes retrouvaient leurs parents anxieux car découcher
n’était pas accepté.
Le lendemain, le
spectacle amusait les badauds mais pas notre commissaire « Chiappe »,
lui-même, soumis aux vifs reproches de celui qui récupérait « l’objet du
délit ».
Au cours des Noëls
pluvieux ou neigeux, le réveillon s’imposait aussi ; les souvenirs vécus
sont vivaces dans bien des mémoires.
Les évoquer c’est
aussi le regret d’une jeunesse déjà lointaine.
Article transcrit dans son intégralité par
Marie-France HURTADO, d'après le récit de Jean BOUCABEILLE